Me voici rembarqu¨¦ sur la mer amoureuse,
Moi pour qui tant de fois elle fut malheureuse,
Qui ne suis pas encor du naufrage essuy¨¦,
Quitte ¨¤ peine d'un voeu nouvellement pay¨¦.
Que faire ? mon destin est tel qu'il faut que j'aime
On m'a pourvu d'un coeur peu content de lui-m¨ºme,
Inquiet, et f¨¦cond en nouvelles amours :
Il aime ¨¤ s'engager, mais non pas pour toujours.
Si faut-il une fois brûler d'un feu durable ;
Que le succ¨¨s en soit funeste ou favorable,
Qu'on me donne sujet de craindre ou d'esp¨¦rer,
Perte ou gain, je me veux encore aventurer.
Si l'on ne suit l'Amour, il n'est douceur aucune :
Ce n'est point pr¨¨s des rois que l'on fait sa fortune ;
Quelque ingrate beaut¨¦ qui nous donne des lois,
Encore en tire-t-on un souris quelquefois ;
Et, pour me rendre heureux, un souris peut suffire.
Clym¨¨ne, vous pouvez me donner un empire,
Sans que vous m'accordiez qu'un regard d'un instant :
Tiendra-t-il ¨¤ vos yeux que je ne sois content ?
H¨¦las ! qu'il est ais¨¦ de se flatter soi-m¨ºme !
Je me propose un bien dont le prix est extr¨ºme,
Et ne sais seulement s'il m'est permis d'aimer.
Pourquoi non, s'il vous est permis de me charmer ?
Je verrai les Plaisirs suivre en foule vos traces,
Votre bouche sera la demeure des Grâces,
Mille dons pr¨¨s de vous me viendront partager ;
Et mille feux chez moi ne viendront pas loger !
Et je ne mourrai pas ! Non, Clym¨¨ne, vos charmes
Ne paraîtront jamais sans me donner d'alarmes ;
Rien ne peut emp¨ºcher que je n'aime aussitôt.
Je veux brûler, languir, et mourir s'il le faut :
Votre aveu l¨¤-dessus ne m'est pas n¨¦cessaire.
Si pourtant vous aimer, Clym¨¨ne, ¨¦tait vous plaire,
Que je serais heureux ! quelle gloire, quel bien !
Hors l'honneur d'¨ºtre ¨¤ vous je ne demande rien.
Consentez seulement de vous voir ador¨¦e :
Il n'est condition des mortels r¨¦v¨¦r¨¦e
Qui ne me soit alors un objet de m¨¦pris.
Jupiter, s'il quittait le c¨¦leste pourpris,
Ne m'obligerait pas ¨¤ lui c¨¦der ma peine.
Je suis plus satisfait de ma nouvelle chaîne
Qu'il ne l'est de sa foudre. Il peut r¨¦gner l¨¤-haut :
Vous servir ici-bas c'est tout ce qu'il me faut.
Pour me r¨¦compenser, avouez-moi pour vôtre ;
Et, si le Sort voulait me donner ¨¤ quelque autre,
Dites : < Je le r¨¦clame ; il vit dessous ma loi
Je vous en avertis, cet esclave est ¨¤ moi ;
Du pouvoir de mes traits son coeur porte la marque,
N'y touchez point. " Alors je me croirai monarque.
J'en sais de bien trait¨¦s, d'autres il en est peu :
Je serai plus roi qu'eux apr¨¨s un tel aveu.
Daignez donc approuver les transports de mon z¨¨le ;
Il vous sera permis apr¨¨s d'¨ºtre cruelle.
De ma part, le respect et les soumissions,
Les soins, toujours enfants des fortes passions,
Les craintes, les soucis, les fr¨¦quentes alarmes,
L'ordinaire tribut des soupirs et des larmes,
Et, si vous le voulez, mes langueurs, mon tr¨¦pas,
Clym¨¨ne, tous ces biens ne vous manqueront pas.